la préparation

Huit ans, c’est le temps qu’il lui aura fallu pour aboutir à la publication de ce blog… Et pourtant, elle stagne dans la peur. À quoi ça sert de partager ses pensées, ses goûts, ses désirs, ses mésaventures, ses joies ? Si elle ne le fait pas, l’impression de passer à côté d’un plaisir, d’une part de créativité.

Alors hier, elle a passé une audition pour un projet qu’elle voulait vraiment, seulement voilà, elle n'a pas encore trouvé la recette efficace pour ne pas paniquer en audition. Le rendez-vous est fixé à 14 h, elle sait d’avance que le rôle est très physique, que pendant 10 min il faut danser intensément, puis sans plus tarder faire un monologue de 15 à 20 min. Pensant être une génie, elle se dit qu’elle ne va pas prendre de petit-déjeuner pour ne pas se sentir trop lourde. Pendant sa correspondance à Lyon, un latte avoine à 7 € avec l’option lait végétal lui semble être une décision responsable… Histoire d’être bien réveillée. Dans le second TER, une nausée s’invite due au mal de transport, le café n’aidant pas. Mais une fois arrivée à destination, c’est là que le prix Nobel lui glisse entre les doigts, elle décide de prendre un second café, deux petits paquets de Schroumpfs et un balisto. Aussitôt payé, une minute suffira pour faire disparaître le pactole. Il est l’heure d’y aller. Une fois arrivée sur place, un catering rempli de bananes, de gâteaux, de thés, de pommes et tutti quanti. Que dire… Une personne joviale, amicale et rassurante s’approche chaleureusement et demande d’une question qui n’attend pas de réponse: “tu es danseuse ?” Le niveau de stress éliminant dans son monde intérieur toute intonation qu’offre les cordes vocales, elle répond qu’il ne faut jamais être sur ses acquis. Nous commencerons par le deuxième monologue histoire de rentrer en “douceur” dans le travail. L’esprit de Fanny Ardant entre involontairement en elle, un bol d’air habite sa gorge puis la maîtrise ne fait plus partie de ses compétences vocales, si tenté qu’elle l’eut été un jour. Sa voix, elle déraille.

Malgré tout, garder la tête haute reste encore un objectif, éphémère, mais présent . Les explications, les mots employés et la bonne volonté de la metteuse en scène sont pourtant bien clairs. Elle comprend où il faut aller, où on cherche à l’amener, pourtant elle est dans l’incapacité d’y aller à ce stade parce que le texte est trop fragile (évidemment, elle l’a appris la veille, mais ça, on en parlera dans un autre épisode.) et le chemin entre ce qu’elle croit faire et la réalité, est assez vertigineux…

Vient le moment de la danse. Ça y est, on y est, reculer n’est plus une option. Ce début de la musique très motivante et dans ce cas particulier, pour elle, bien trop motivante. elle donne TOUT, malgré quelques problèmes de proprioception et de rythme, elle est là, wouhooooou, allez on lâche rien et puis la musique s’arrête net. Ses oreilles, elle entend une voix très très loin qui lui dit : “ et là, il faut que t’enchaînes avec le texte, mais tu tiens, tu te sers de ta fatigue pour nous raconter clairement et avec force ton texte et tu regardes le ciel, les étoiles, ton bureau”. Son corps plié en deux les mains sur les genoux, une lumière blanchâtre comme seul écran, ce sont d’autres formes d’étoiles qu’elle voit, celles où l’on n'a pas besoin de regarder en l’air.

Et là, la metteuse en scène tentant de camoufler au mieux sa déception dit: “ allez, lâche rien, tient le coup, redresse toi, sois stable sur tes pieds, tiens-toi droite, redresse toi, parle-nous”

elle n’aura pour réponse: “ je ne peux pas Madame, je n'y arrive pas, mais j’y arriverai, mais là, je ne peux pas, c’est trop dur, même un centimètre, c’est trop dur…”

Après, ce fut un long fleuve de trou noir intranquille, un petit moment d’absence pour tout vous dire, mais quand elle revient, la voilà en train de dire un texte et à la question : “ Est-ce que tu veux refaire la danse ou c’est un peu trop pousser ? ” Elle répond, oui, refaisons la danse. Et la suite vous la connaissez.

À ce jour, son téléphone n’a toujours pas sonné et sa boîte mail n’annonce guère une collaboration avec la metteuse en scène.

Ça a surtout été une belle mise en garde quant à la place qu’elle donnait à sa santé et à l’exigence qu’impose le métier d’interprète. Car il ne s’agit pas seulement de connaître son texte (même là, elle n’était pas à jour) mais bien de le comprendre, de le décortiquer, de le muscler, de le soutenir, de le posséder. Il ne s’agit pas de se cacher derrière un texte ou une musique - il y un endroit de fusion, une partition commune où chacun aurait sa note pour former une mélodie harmonieuse - mais de venir avec son corps tout entier et ce corps, il faut le nourrir, l’hydrater, le comprendre, le soigner, l’anticiper, l’écouter, le préparer.

À défaut d’être sur une scène, on est tous les interprètes de nos vies alors prenez soin de vous.

soubi sou bisou

M-

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